lundi 21 mars 2011

LA CARTE ET LE TERRITOIRE: ÉLOGE À MICHEL HOUELLEBECQ


J´ai découvert la littérature de Michel Houellebecq grâce à la recommandation d´un ami qui, la dernière fois qu´on s´est rencontrés, était radiant de vie: il se promenait sous le ciel orangé du crépuscule avec sa très belle petite amie barcelonaise sur la baie de la Kontxa et semblait détendu; l´aspect calme, la voix posée, il était la personnification du bonheur, si cela existe. Tout au contraire, paradoxalement, des héros tourmentés, peu sûrs d´eux-mêmes, complexés et solitaires des romans de Michel Houellebecq.
                Il m´a semblé, à ce moment-là, que mon ami a su apprendre la leçon des livres qu´il m´avait recommandé; qu´il a su échapper à la fatalité qu´on partage avec la majorité de nos concubins: la fatalité de devenir un héros d´un œuvre de Michel Houellebecq.
                A mon avis, Houellebecq a réussi, d´une certaine manière, à attraper dans son dernier roman un esprit profondément punk. Mais cet esprit n´a rien à voir avec des rafales de batterie ou des vomissures abondantes en live. Il n´y a aucun cri gratuit, aucun slogan usé, de telle façon que le ton du roman n´est pas, selon moi, si agressif comme dans, par exemple, Les particules élémentaires. L´œuvre est plutôt fruit d´une chorale sombre et des grandes doses d’humour noir; imaginez-vous la voix de Lou Reed en récitant The Raven, ou le piano qui divague au début de sa chanson Berlin
 La carte et le territoire raconte la vie de Jed Martin, un artiste contemporain français (l’action se déroule au présent) qui connait, tout au long de sa vie, le succès et la reconnaissance artistique. Cependant, il est loin d’être un bon vivant ou un bohème; il est, certainement, un homme solitaire, un homme qui s’enferme sur lui-même pendant des mois et des mois. Je l’imagine comme une bougie, fragile et étincelante, qui se consume petit à petit; bref, il n’est pas le genre d’artiste qui vit la vie intensément. Pour donner un exemple, voilà comme on décrit sa mort: « C’est ainsi que Jed Martin prit congé d’une existence à laquelle il n’avait jamais totalement adhéré » (page 426).


Michel Houellebecq, enfin couronné avec le Goncourt, fait une satire impitoyable de la société contemporaine, du marché de l’art et de la France devenu un paradis touristique. Plusieurs de ses phrases m’ont spécialement frappé. Le ton et style ci-dessous, par exemple, sont très caractéristiques chez lui: puissance, humour noir, ironie et critique.
« Plusieurs fois à Paris, il avait assisté à des incinérations; la dernière était celle d´un camarade des Beaux arts, qui avait été tué dans un accident d´avion lors de ses vacances à Lombok; il avait été choqué que certains des assistants n´aient pas éteint leur portable au moment de la crémation » (page 55)


Au cours du roman, l’auteur élabore des styles et des registres divers: le récit d’isolement de Jed et le rapport au père, écrit dans un ton austère et un style parfois étouffant; l’histoire d’amour échoué entre Jed et Olga, une très belle Russe qui travaille chez Michelin -« La sexualité est un chose fragile, il est difficile d’y entrer, si facile d’en sortir » (page 250)-; l’autofiction -quand Jed rencontre Michel Houellebecq-; le roman noir, pour élucider l´horrible assassinat de Houellebecq; et, finalement, la science fiction qu´aime tant l’auteur, pour faire découvrir les dernières années et la mort du héros. 

 
La mélodie de la narration trace des désagréments et contradictions les plus douloureux de notre génération. On est les fils du capitalisme sauvage, de la frivolité, de l´incommunication, de l´insatisfaction:
« De manière plus générale on vivait une période idéologiquement étrange, où tout un chacun en Europe occidentale semblait persuadé que le capitalisme était condamné, et même condamné à brève échéance, qu’il vivait ses toutes dernières années, sans que pourtant les partis d’ultra-gauche ne parviennent à séduire au-delà de leur clientèle habituelle de masochistes hargneux. Un voile de cendres semblait s’être répandu sur les esprits » (page 397).


J’aime trop cette dernière phrase, « un voile de cendres semblait s’être répandu sur les esprits ». Je pressens qu’on pourrait l’enchainer avec la citation du début pour peaufiner l´approximation à l´âme de La carte et le territoire :
« Le monde est ennuyé de moy,
Et moy pareillement de luy. »
Charles d´Orléans
C’est toute une déclaration d’intentions. L´ennui est, sans aucun doute, l´un des sujets les plus importants de la littérature contemporaine. Il me semble inévitable de comparer cette citation avec celle qui ouvre 2666, chef d´œuvre posthume de Roberto Bolaño, écrit à l´apogée de sa carrière et publié cette même décennie:
« Une oasis d'horreur dans un désert d'ennui »
Baudelaire (Le Voyage, VII)
Selon l´écrivain chilien, l´unique voie pour échapper de l´ennui est le mal, l´horreur. C´est pour cela, peut-être, que l´auteur a eu recours à l´assassinat de Houellebecq-personnage, justement quand le rythme du roman tombait un peu.


Michel Houellebecq, maitre et connaisseur implacable des misères contemporaines. Il faudrait que je retienne la leçon, comme l´a fait mon ami qui se promenait sous le ciel orangé de la Kontxa avec sa petite amie. Entre temps, je me réjouirais en chantant le Blues du businessman, comme Beigbeder l’a fait dans le roman. Paroles de Luc Plamondon, musique de Michel Berger: J´aurais voulu être un artiiiiiste / Pour avoir le monde à refaire / Pour pouvoir être un anarchiiiiste / Et vivre comme un millionnaire !...

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