lundi 28 février 2011

MOTZA DA BIDEA (“LE CHEMIN EST COURT”)

Le soir du samedi 4 décembre, quand les sommets d’Adarra et de Bianditz étaient encore neigés, Xabier Lete est mort. Le vendredi il avait pu aller à l’hôpital par ses propres moyens, mais son état a gravement détérioré, et maintenant il repose en paix. La perte est très grande pour tout le monde qui l’aimait et qui aimait la culture basque.
 
S’il reviendrait encore
l’étrange temps passé
je pourrais aussi bien la consumer
entre douce vanille,
dans une mer  lointaine
l’imagination perdue
dans les pluies printaniers
en voyant fleurir les roses.

Berriro itzuliko balitz
iragan denbora arrotza
berdin kontsumi nezake
banilla gozo artean,
itsaso urrun batetan
irudimena galdurik
udaberriko euritan
larrosak pizten ikusiz.


Début de la chanson « Habanera », l’une des plus belles et connus de Xabier Lete

Il est précisément mort comme Mikel Laboa, un jour du début de décembre, un jour froid, un jour neigé, un beau jour. Parce que, même pour mourir, tous les jours ne sont pas les mêmes. Souvenons-nous de ce que Yves Bonnefoy, le poète, mathématicien et philosophe français, a écrit dans Début et fin de la neige:

Il neige. Âme, que voulais-tu
Que tu n'aies eu de naissance éternelle?
Vois, tu es là
Pour la mort même une robe de fête.

            La neige est une belle robe de fête pour la mort, et Xabier Lete savait bien cela; ce n’est pas par hasard qu’il a intitulé son excellent dernier livre de poèmes «Egunsentiaren esku izoztuak», («Les mains gelés de l’aube»), Prix Euskadi de littérature 2009. Sa poétique est intime, complexe et très émouvant, surgi de la plaie. Il était de la génération pre-anglaise (de la génération qui a appris le français comme première langue étrangère) et il a bu notamment de l’existentialisme et de la chanson française.


Autodidacte, intellectuel engagé, poète, chanteur et, par-dessus tout, un individu extrêmement sensible, il a largement réfléchi sur la souffrance et la mort, et il s’est peu à peu préparé pour recevoir sa visite après la mort de Lourdes Iriondo, sa femme (décédée il y a cinq ans). Xabier disait que ceux qui étaient malades vivaient dans un autre monde, «dans le territoire de la insécurité physique, de la insécurité psychique et de l’incertitude absolue sur leur futur». Il savait bien de ce dont il parlait: son épouse, Lourdes, avait un très délicat cœur et lui, Xabier, souffrait d’une maladie intestinale chronique.
Ce territoire de l’insécurité et de l’incertitude a été aussi exploré par le réalisateur et l’artiste Julian Schnabel dans son dernier film, Le scaphandre et le papillon. Le film raconte la vie et les derniers jours de Jean-Dominique Bauby, ancien rédacteur en chef du magazine ELLE qui a souffert une embolie massive et qui désormais ne peut ni parler ni respirer sans assistance. 


 Le silence, la solitude et la distance se multiplient quand on est atteint du «locked-in syndrome». A cet égard, le début du film est traumatique. En utilisant la technique cinématographique d’adapter le regard du spectateur à celui du patient, on peut entrer dans la peau de Jean-Do. Ainsi, on peut éprouver son étourdissement et son angoisse dans notre peau dès qu’il se réveille d’un profond coma et découvre qu’il ne peut pas bouger et que les médecins ne peuvent pas l’entendre.


«Il faut que vous vous accrochiez à l’humain», lui recommande un de ses connus. Mais pas uniquement le patient; tout l’entourage -la famille, les infirmiers, les médecins- doivent s’accrocher à ce qui fait d’eux des personnes. Car, dans ces cas extrêmes, une geste de compréhension ou la patiente d’une infirmière peuvent tout changer.

            
Car, lorsqu’on perd le contrôle du corps, on perd la liberté; et quand on n’est plus libres, quand la seul moyen de communication avec l’extérieur est à travers de successifs clins d’œil et quand on dépend entièrement de l’aide de ceux qui nous aiment, l’importance des mots se multiplie.
En fin de compte, Xabier Lete et Jean-Dominique Bauby ont eu la capacité exceptionnelle de revaloriser l’importance des mots et de consacrer toute leur force intérieure et le support extérieur à tirer parti de leurs deux moyens de s’évader de leur scaphandre: l’imagination et la mémoire. Et leurs œuvres restent dans nos mémoires comme des lettres des amis a qui on n’a pas encore répondus; comme des lettres qu’on n’oublie pas et qu’on garde dans le tiroir ou sur la table de nuit pour leur répondre au fil des jours.


On est nés, on vit
on ne demande rien
le bateau lentement
s’éloigne du port.
Les Antilles sont suspendus
dans les murs des photos
je vais écrire une lettre
pour que quelqu’un la réponde.

Jaio ginen, bizi gera
ez dugu ezer eskatzen
itsasontzia astiro
kaiatik ari da urruntzen.
Antillak zintzilik daude
argazkien paretetan
karta bat idatziko dut
norbaitek erantzun dezan.


Fin de la chanson « Habanera »


P.d.: Yves Bonnefoy-ren aipamena Bernardo Atxagari lapurtu diot, Erlea aldizkariaren lehen aletik hartu dut.



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