Septembre
2011. La cour d’assises espagnole (Audiencia Nacional) juge Arnaldo Otegi pour avoir
tenté de reconstruire la structure de Batasuna (parti politique qui rassemble
la gauche abertzale, le « Sinn Féin basque »); la cour prétend qu’il
a suivi les instructions de l’ETA. L’accusé proteste: «notre stratégie est aux
antipodes de celle de l’ETA; on n’est pas pour la stratégie militaire, bien au
contraire! Si la mise en œuvre d’une stratégie pacifique et uniquement
politique constitue un délit, on est coupables. Si non, nous ne le sommes pas ».
L’accusé a été condamné à dix ans de prison.
La nouvelle a jeté un grand
trouble dans le milieu politique basque. Même le président du Parti Socialiste
au Pays Basque, Jesús Eguiguren, a qualifié l’arrestation de « vengeance politique »,
et a remarqué que le verdict « n’avait aucun sens ».
Mais qui est vraiment le
« Gerry Adams basque», diabolisé par les uns et mythifié par les
autres? La connaissance de sa carrière politique est incontournable pour se
repérer dans le labyrinthe politique basque des 15 dernières années.
Porte-parole, leader charismatique de la gauche abertzale depuis 1997, et
promoteur des successifs cessez-le-feu de l’ETA et des pourparlers de paix,
Arnaldo Otegi a été l’homme qui a définitivement bousculé la gauche abertzale
(nationaliste basque) par des moyennes exclusivement politiques.
De militant de second rang à la star politique
Ses
débuts restent encore très flous. Il entre dans la clandestinité en 1977, à
l’âge de 19 ans, et milite dans l’ETA politique-militaire (ETA –pm–). Après la
dissolution d’ETA –pm–, il se range sous la bannière de l’ETA militaire (ETA
–m–). Incarcéré en 1987, il est soupçonné d’avoir participé à l’enlèvement des
députés Javier Rupérez et Gabriel Cisneros (UCD), et du directeur de l’usine
Michelin de Vitoria-Gasteiz, Luis Abaitua. Il a été jugé et condamné pour ce
dernier enlèvement à six ans de prison.
Pendant
ces six ans, il obtient son diplôme de philosophie et lettres, et se prépare
pour le retour. Une fois libre, il entre dans le Parlement Basque en 1995 pour
remplacer Begoña Arrondo et, suite à l’arrestation des cadres dirigeants du
parti en 1997, il est nommé porte-parole de la gauche abertzale.
Son
ascension est fulgurante: son verbe facile et fervent ont captivé ses sympathisants
et séduit ses adversaires. En 1998 il a promu les Accords de Lizarra-Garazi, conclu
le pacte parlementaire avec les partis abertzales modérés PNV et EA et négocié le
cessez-le-feu de l’ETA. Les résultats électoraux soutiennent ses thèses: la
gauche abertzale obtient 18% des voix dans les élections autonomes de 1998, un
score historique. Les journaux nationaux, autant qu’internationaux, se le
disputent. Le conflit basque semble, enfin, sur le point d’être résolu.
L’optimisme s’est généralisé à tel point qu’Otegi, grisé par l’ivresse du
succès, a déclaré que « le Pays Basque allait célébrer l’indépendance dans
l’année 2000 ».
La traversée du désert
Les négociations, néanmoins,
ont fini par échouer. A partir de la fin 1999, l’escalade de violence s’accentue.
D’une part, la violence de l’ETA empire de façon significative: en plus des policiers
et des militaires, des conseillers municipaux (Ernest Lluch, 2000), des magistrats
et procureurs (José Francisco Querol, 2000), des chefs d’entreprise (Joxe Mari
Korta, 2000) ou des professionnels travaillant pour l’Etat (le cuisinier de
l’armée Ramón Díaz
García, 2001) sont aussi
devenus des cibles principales. D’autre part, la dispersion de prisonniers et
les dénonciations d’abus policiers et de tortures dont la grande majorité reste
impunis continuent. En outre, l’État espagnol porte atteinte aux droits
démocratiques basiques: fermeture des journaux, illégalisation des partis
politiques et organisations « proches » de l’ETA, interdictions de
rassemblements et de manifestations….
La situation s’avère compliqué
pour une entente et un accord. Arnaldo Otegi perd son pari politique, et les
électeurs punissent la gauche abertzale aux prochaines élections: loin des 18%
de l’élection précédente, elle récolte seulement 10% des voix.
Au cours de la première décade
du siècle, la pression policière monte et la collaboration franco-espagnole se
développe profondément. L’ETA subit d’importantes pertes: commandos et cadres
sont arrêtés, la logistique s’affaiblit et le soutien social diminue
considérablement. Parallèlement, l’effondrement des tours jumelles et les attaques
de Madrid ont encore remis en question le maintien de la lutte armée comme
stratégie au sein de la gauche abertzale.
Le
changement de gouvernement en 2004 a favorisé le rapprochement entre le nouveau
cabinet de Zapatero et la gauche abertzale. Les pourparlers ont repris: le
Processus de Loiola était déjà en cours. Pourtant, les négociations n’ont
finalement pas abouti, et la bombe placée dans l’aéroport de Barajas a brisé
toute possibilité d’accord.
La stratégie politique bat la stratégie politique-militaire
« L’attentat
de Barajas a été un point d’inflexion pour la stratégie de la gauche abertzale.
L’emploi de la force, au lieu de résoudre les problèmes, rend plus difficile la
solution ». Le virage était déjà fait: Otegi craignait que l’illégalité et
la clandestinité de Batasuna, ajouté au refus de la société basque que
provoquait l’ETA, allait les marginaliser.
Par
conséquent, la gauche abertzale s’est lancé dans un long et profond débat
interne qui s’est matérialisé dans la création d’un nouveau parti, Sortu, qui
rejette toutes sortes de violence. « On a un seul point commun avec l’ETA,
les objectifs stratégiques: l’indépendance et le socialisme pour le Pays
Basque ».
Le
17 octobre 2011, à Donostia se célèbre la Conférence d’Aiete, avec la
participation de Kofi Annan, Bertie Ahern, Gro Harlem Brundtland, Pierre Joxe,
Gerry Adams, Jonathan Powell et tous les partis politiques basques, à
l’exception du Parti Populaire. Trois jours plus tard, l’ETA déclare l’arrêt
définitif de toutes ses activités armées: le Pays Basque entre, enfin, dans une
nouvelle ère politique.
Le conflit politique continue
Les décennies d’affrontement armé ont
laissé une blessure profonde difficile à oublier. Les victimes se comptent par
centaines, il y a plus de 700 prisonniers politiques éparpillés par toute la
géographie franco-espagnole, les lois et politiques d’exception continuent, et
la normalisation politique avance, mais très lentement. Une réflexion sur les
racines et les causes de la violence se montre nécessaire, ainsi qu’une
évaluation éthique et une autocritique profonde et sincère du côté de la gauche
abertzale sur les conséquences dramatiques que le choix militaire a provoquées.
Arnaldo Otegi, leader et pourparler
d’un courant politique, grâce à un procès de rassemblement de forces nationalistes
de gauche, pourrait représenter, selon les derniers sondages, le soutien de 25
à 30% des Basques dans les prochaines élections autonomes, il continue sa lutte
sous les verrous.
Mais le prisonnier numéro
8719600510, coincé entre l’immobilisme des États français et espagnol, pense à
long terme. Résolument convaincu de son objectif, il propose, dans une
interview envoyée de la prison de Logroño, la désobéissance civile et la lutte
pacifique pour faire face aux États espagnol et français.
Les années coulent sans qu'on
s'en aperçoive, et 1000 jours ont déjà passé depuis qu’Otegi est détenu en
prison. Et même si sa peine a été réduite de dix à six ans, chaque jour qui
passe augmente la dimension symbolique du prisonnier numéro 8719600510: arrêté
par des polices qui seulement répondent à la logique kafkaïenne, incarcéré sans
avoir eu le droit d'être jugé par des juges impartiaux et injustement condamné
à croupir dans les prisons d’un pays bananier.
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